vendredi 28 septembre 2012

La ponction publique sur l’économie

Lorsqu’on lit cet article des Echos, un calcul rapide pourrait nous induire en erreur. On y lit en effet qu’en 2013 le taux de prélèvements obligatoires s’élèvera à 46,3% du PIB, et le taux de dépenses publiques à 56,3% du PIB. Ce qui fait exactement 10% de différence soit, pense-t-on, le déficit public total de la France, autrement dit 200 milliards d’euros (le PIB de la France en 2011 était de 1.996 milliards). Mais ce calcul est erroné, il faut en réalité considérer les recettes publiques totales, dont les prélèvements obligatoires (impôts, taxes, cotisations sociales) constituent l’essentiel mais pas la totalité. L’Etat a en effet quelques recettes (les dividendes versés par les entreprises dont il est actionnaire), et d’autre part, nos hauts fonctionnaires du ministère des finances ont eu l’idée saugrenue d’affirmer que plusieurs taxes étaient des « rémunérations de services rendus » et ne pouvaient donc pas être considérées comme des prélèvements obligatoires, comme par exemple la redevance audiovisuelle, quelle blague ! (cf cet article). Le bon calcul consiste donc à considérer les recettes et les dépenses publiques en totalité, comme par exemple, pour l’année 2010 : l’ensemble des dépenses publiques se sont montées à 56,2 % du PIB, contre 48,5% pour les recettes publiques, dont 42,2 % pour les prélèvements obligatoires, le déficit public a donc été de 7,7 % du PIB (Wikipedia), principalement du à l’Etat, puis à la sécu et aux collectivités locales. L’enseignement à retenir est que le taux de prélèvements obligatoires ne prend pas en compte la totalité de la ponction de la puissance publique sur l’économie, et qu’il faut rajouter quelques points de PIB ; ainsi pour 2013 ce ne sera pas 46,3% mais certainement pas loin de 50%...
En passant, autre élément de l’article des Echos : « la dette va continuer de grimper en raison notamment de la dotation aux fonds de secours européens », et cela n’apparaîtra nulle part dans le déficit public car ce n’est pas une dépense mais une garantie…

Autrement, l’info du jour : « l’article L612-33 du Code monétaire et Financier autorise les assureurs à geler les avoirs des assurés en cas de rachats massifs » (Challenges), que nous avons signalée dans notre revue de presse ce matin. Mais jusqu’ici tout va bien.

Philippe Herlin

vendredi 21 septembre 2012

Banques centrales : Ubu roi

Suite des trois billets précédents, où l’on entre dans le royaume du père Ubu : les banques centrales monétisent, mais au fond elles savent que ça ne sert à rien, et elles continuent faute de mieux. C’est ce qu’a déclaré l’un des dirigeants de la Fed, Richard Fisher (Les Echos). « La vérité est que personne au sein du Comité [de politique monétaire de la Fed (FOMC)] ne sait réellement ce qui entrave l'économie, personne ne sait ce qui marchera pour remettre l'économie sur la bonne voie. » Il se rend bien compte que la monétisation ne sert à rien : faisant valoir que des milliers de milliards de dollars prodigués abondamment par la Réserve fédérale dorment dans les coffres des banques, des entreprises, ou de fonds monétaires, Richard Fisher estime que continuer à inonder le marché de liquidités ne mènera à rien. Il faut donc arrêter ? Non, « je prie pour que cela marche » explique-t-il. On peut employer le terme de dissonance cognitive, mais cela relève plus de la psychiatrie que de l’économie. Voici l’état d’esprit de ceux qui dirigent la Fed, ou la BCE.

Philippe Herlin

mercredi 12 septembre 2012

Sur la politique de « stérilisation » de la BCE

Revenons sur un point soulevé dans le billet précédent, le fait que la BCE affirme « stériliser » la création monétaire qu’elle produit lorsqu’elle achète des bons d’Etat.

La BCE achète des bons d’Etats de pays en difficulté (de façon à faire baisser les taux, c’est à dire leur « prix »). Mais elle ne les achète pas aux Etats lorsqu’ils émettent ces bons, car c’est interdit par le Traité de Lisbonne (article 123). La BCE les achète sur le marché secondaire, c'est-à-dire aux banques. Bien sûr, il y a aussi des fonds de pension, des fonds souverains, des hedge funds qui achètent des bons d’Etat, mais la BCE intervient aussi pour aider les banques européennes, donc elle ne s’adresse qu’à elles. Pour acheter ces bons, la BCE crée de l’argent ex-nihilo (la planche à billets), ce qui à terme est inflationniste (si la quantité de monnaie dans l’économie augmente plus vite que les biens réels disponibles, à un moment se produit une valse des étiquettes).

Mais la BCE se veut rassurante, il n’y aurait pas de risque inflationniste car elle « stérilise » cet argent créé. Comment ? En incitant les banques à placer l’argent (qu’elles viennent de toucher de la BCE en lui vendant leurs bons) à la BCE ! Comment ? En rémunérant ces placements. Ainsi, l’argent créé par la BCE retourne immédiatement dans ses caisses, il ne circule pas dans l’économie, ce qui éloigne tout risque de hausse des prix.

Ca c’est sur le papier. Des banques préfèrent investir cet argent sur les marchés des matières premières ou les bourses, qui rapportent plus que ce que propose la BCE. Ceci explique la bonne tenue (artificielle donc) de ces marchés, alors que la récession touche toutes les régions du monde. Et puis la BCE a réduit son taux d’intérêt pour ces placements car elle se plaint que les banques ne soutiennent pas suffisamment le crédit, donc la croissance. Cet argent reste donc de moins en moins à la BCE.... L’argent n’est donc pas « stérilisé », il est déposé temporairement et pour partie à la BCE, et le reste provoque des bulles sur les matières premières ou les marchés actions. Une crise (concernant notamment la solvabilité du système bancaire) pourrait même obliger les banques à rapatrier brutalement cet argent pour faire face à leurs engagements, provoquant ainsi une rapide remise dans le circuit économique d’une masse considérable de monnaie…

Dernière élément : mais au fait, avec quel argent les banques (grecques, portugaises, espagnoles, italiennes) achètent-elles des bons d’Etat de leurs pays ? Avec de l’argent prêté par la BCE ! Dans le cadre des LTRO (deux fois 500 milliards prêtés à trois ans à 1% aux banques européennes), ou d’autres programmes. Normalement cet argent sera remboursé dans trois ans, et donc détruit, mais il a été créé et il circule. Ce qui provoque une relative bonne tenue (artificielle encore une fois) du marché de la dette souveraine européenne. Une remarque : les banques obtiennent ces liquidités auprès de la BCE pour acheter de nouveaux bons d’Etats en déposant en garantie (le « collatéral »)… d’anciens bons d’Etats acquis précédemment, ça tourne en rond. Ca tourne en rond, l’objectif étant de jouer sur les taux (ce que rapporte les bons d’Etats moins ce que coûte l’argent prêté par la BCE) pour gagner sa vie…

On voit donc ici que la « stérilisation » dont parle la BCE n’est qu’un jeu de bonneteau, ou une variante de la pyramide de Ponzi, et que le risque inflationniste s’avère bien réel.

Autrement, retrouvez mon dernier article pour Atlantico, qui reprend et développe un billet précédent : Et s'il fallait permettre à chaque citoyen de décider le montant de ses impôts ? Retour sur la solution explosive de Peter Sloterdjick

Philippe Herlin

vendredi 7 septembre 2012

BCE : la fuite en avant, suite

On a un peu plus de détails sur les décisions annoncées hier par Mario Draghi, et il faut rajouter une nouvelle inquiétante aux deux autres dont nous parlions dans le billet précédent : les banques en mal de liquidité pourront apporter, en garantie, des « collatéraux » (actifs financiers) d’une qualité moindre qu’auparavant. Voilà qui va encore accroître la quantité de monnaie en circulation, et dégrader d’un niveau supplémentaire le bilan de la BCE !

Draghi nous a refait aussi une des blagues préférées de Trichet : « ne vous inquiétez pas, il n’y a pas planche à billets car l’argent créé est stérilisé ». Quand la BCE crée de l’argent pour racheter les emprunts d’Etat, elle affirme qu’elle en retire une somme équivalente du marché monétaire. Comment ? Aucune explication. Et les chiffres montrent le contraire puisque le bilan de la BCE ne cesse d’augmenter.

Mario Draghi a également affirmé que l’euro était « irréversible » et que les craintes des investisseurs sur la pérennité de l’euro étaient « infondées » (Les Echos), ce qui démontre un aveuglement effrayant, et un mépris pour les opérateurs de marché sensés ne rien comprendre de ce qui se passe. Pas grave, ceux-ci applaudissent et les marchés montent, il y a plus de cash dans le système, donc plus de spéculation et de bulles à prévoir, certains recommandent même d’investir sur les actions. C’est ça, venez les petits…

Philippe Herlin

jeudi 6 septembre 2012

BCE : la fuite en avant

La conférence de presse très attendue de Mario Draghi vient de se terminer (Les Echos). Deux choses à retenir, et qui sont très inquiétantes pour l’avenir :
1) La BCE continuera d’intervenir sur le marché de la dette, mais elle va accélérer la cadence : elle achètera des obligations d'Etat de maturité allant de 1 à 3 ans et ne fixera « pas de limite quantitative » à ces achats.
2) La BCE renoncera à son statut de créancier privilégié sur les obligations d'Etat qu'elle achètera sur les marchés.

La planche à billets continue de plus belle ! Le bilan de la BCE, qui est déjà démesuré (il représente 32% du PIB de la zone euro ! voir cet article) va encore enfler. Il va se remplir d’actifs pourris, autrement dit de bons d’Etats qui sont insolvables (Grèce, Espagne) ou en grande difficulté (Italie). Et bien sûr, un jour ou l’autre, il faudra enregistrer des pertes. Des pertes abyssales, à la mesure de ce bilan démesuré.

Mais, deuxième « nouveauté » de la journée, la BCE renonce à son statut de créancier privilégié, ce qui veut dire qu’en cas de restructurations (inévitables, car les pays en difficulté ne pourront pas rembourser), la BCE encaissera la perte comme tous les autres détenteurs, alors que pour la Grèce elle était passé à travers. Vu la taille de son bilan, la BCE tombera automatiquement en faillite… à moins que les Etats actionnaires ne compensent la perte, et ils y seront obligés car une banque centrale en faillite fait tomber tout le système monétaire et financier. Et qui paiera ? Le contribuable, bien sûr. Mais cela, Super-Mario ne l’a pas expliqué.

Philippe Herlin

lundi 3 septembre 2012

Après Dexia, le Crédit Immobilier de France !

Depuis le temps que nous parlions du Crédit Immobilier de France (CIF) dans notre revue de presse, ou sur ce blog (le 10 mai 2012), enfin les grands médias se réveillent ! Il faut dire que la banque est en faillite et que l’Etat a officiellement décidé samedi de s’en porter garant à hauteur de 20 milliards d’euros (Les Echos, voir aussi Zero Hedge), sur un portefeuille total de 33 milliards de crédit, ce qui en dit long sur la qualité de ces prêts... De quoi faire un sujet de JT entre la météo et le foot. Des reportages où d’ailleurs on nous explique que c’est « à cause » de la dégradation par une (méchante) agence de notation que la banque se retrouve en faillite… Non, son fonctionnement est pourri, c’est tout : elle finance des prêts immobiliers (de long terme) avec de l’argent emprunté (à court terme) sur les marchés. Un numéro d’équilibriste qui ne pardonne pas en cas de perte de confiance. Northern Rock en Angleterre est tombé pour la même raison en 2007.

Mais le mal est plus profond. Le CIF, très proche du mouvement HLM, est spécialisé dans les prêts immobiliers aux emprunteurs modestes bénéficiant d’aides sociales. Ca ne vous rappelle rien ? Des prêts immobiliers à des ménages qui n’ont pas de revenus suffisants ? Les subprimes bien sûr, sauf qu’à la différence des Etats-Unis, ici tout est public (nous sommes en France !). Mais c’est une bulle, financée par l’argent public, de plus en plus difficilement d’ailleurs (d’où le relèvement du plafond du livret A, qui finance l’habitat social). Et la bulle continue de gonfler : le gouvernement s’apprête à faire passer le pourcentage de logements sociaux dans les communes de 20 à 25%. Ce qui veut dire encore plus de dépenses pour les villes (préemptions, constructions), pour les organismes HLM, et un renchérissement du parc privé (par la « pression » exercée par le secteur public).

La faillite du CIF traduit deux maux français : des banques trop faiblement capitalisées et un secteur du logement social de plus en plus obèse et coûteux. Deux maux qui vont produire d’autres catastrophes.

Philippe Herlin