lundi 30 janvier 2012

Non, ça ne va pas mieux

« La crise financière s'apaise […] L'Europe n'est plus au bord du gouffre » affirme Nicolas Sarkozy lors de son intervention dimanche soir. Ces déclarations correspondent un sentiment général, l’Espagne et l’Italie empruntent à des taux moins élevés, la perte du AAA par la France n’a pas renchéri le coût de ses emprunts, la crise des dettes publiques européennes semble s’estomper.

Mais ces bonnes nouvelles proviennent-elles d’une amélioration réelle de la situation économique ? La croissance repart-elle ? Non, au contraire. Les banques ont-elles assaini leur bilan ? Nullement. Cette embellie a une cause, nous l’avons déjà dit ici, et cet article du Figaro le confirme, il s’agit du prêt géant de 489 milliards d’euros à 1% sur 3 ans qu’a accordé la BCE aux banques européennes. Ce déluge de liquidité bon marché (de l’argent créé ex nihilo) a temporairement suspendu la crise : « Si cette mesure inédite de la BCE à l'égard des banques a eu un tel effet, c'est que la zone euro était bel et bien menacée fin 2011 par une crise bancaire. »

Et – miracle – une partie de cet argent a été investi en emprunts d’Etat, d’où la détente sur les taux d’intérêt : « C'est ce qu'on appelle le «Sarko trade», car le président français avait publiquement souhaité que les fonds libérés par la BCE viennent, par l'intermédiaire des banques, se placer sur les dettes d'État. » Visiblement, c’était même plus qu’un souhait : « Ont-elles subi des pressions amicales de leur Trésor national ? Vraisemblablement, rétorquent les spécialistes, mais c'est aussi l'intérêt bien compris du secteur bancaire de ne pas laisser son pays faire faillite… »

Conclusion : l’embellie actuelle est complètement artificielle. Mais comme cette mesure permet de dresser un village Potemkine avec de jolies banques et des Trésors publics souriants, elle sera renouvelée, pas plus tard d’ailleurs que le 29 février lorsque la BCE proposera un nouveau prêt géant. Pendant ce temps, la quantité de monnaie et de dette s’accroît dans l’économie…

Philippe Herlin

jeudi 26 janvier 2012

La Grèce va nous coûter très cher !

Les négociations en cours sur la dette publique de la Grèce achoppent sur la décote que doivent « volontairement » accepter les banques et fonds privés : 50% ou plus. Une perte sèche car les assurances (les fameux CDS) ne se déclencheraient pas, pour la raison que cette décote serait volontairement acceptée par les banques (sur l’insistante pression des Etats), car nul ne sait vraiment qui a vendu des CDS, qui en a acheté, et il existe de ce fait un risque de crise systémique.

Mais ce n’est qu’une partie du problème. La dette totale de la Grèce s’élève à 350 milliards d’euros. On parle ici des 200 milliards détenus par les banques. Reste 110 milliards prêtés directement par les Etats lors du premier plan d’aide de mai 2010, ainsi que 40 milliards détenus par la BCE (c'est-à-dire qu’elle a racheté à des banques qui voulaient s’en débarrasser). 350 = 200 + 110 + 40, voici les données du problème.

Les banques acceptent déjà 50% de pertes, mais elles ne veulent pas aller plus loin. Au final il resterait 250 milliards de dette (100+110+40), ce qui est encore trop lourd pour « l’économie » grecque. Alors le FMI demande à la BCE de prendre sa part, ce à quoi elle s’était absolument refusée jusqu’ici car cela équivaut à financer un Etat, ce qui lui est interdit par ses statuts. Quand bien même, cela suffira-t-il ? Certainement pas et il faudra à un moment que les Etats qui ont prêté à la Grèce (110 milliards) prennent une part de la perte…

Ce sera évidemment très difficile à vendre aux opinions publiques, alors on trouvera une solution bancale, un nouveau prêt (130 milliards, provenant des Etats et du FMI) sera versé à la Grèce d’ici le mois de mars, ce qui permettra de tenir jusqu’aux prochaines élections générales en France et en Allemagne. Après il faudra passer à la caisse, merci d’avance aux contribuables français et allemands.

Philippe Herlin

vendredi 20 janvier 2012

La sécu emprunte en dollars !

Nous avons déjà parlé de cette information ici mais on y revient tant elle mérite le détour : la sécurité sociale emprunte pour partie en dollars ! Enfin, plus exactement la CADES, la Caisse d'amortissement de la dette sociale, c'est-à-dire l’organisme chargé de financer la dette de la sécu (de la même façon que l’Agence France Trésor gère la dette de l’Etat). Elle vient de publier son programme de « financement » (comprendre endettement) pour 2012 : 40 milliards d’euros. Sur 2011, 40 % de la dette avait été émise en dollars ou autres devises (6,5 + 3,8 + 3,0/31,4), la proportion devrait être du même ordre en 2012.

Alors que les pouvoirs publics dénoncent l’hégémonie de la monnaie américaine et affirment défendre l’euro « à tout prix », il est effarant de voir que la sécurité sociale emprunte en dollars. L’intérêt de l’opération réside dans l’assurance de placer sans aucune difficulté ces emprunts auprès des fonds de pension américains (qui n’ont ainsi aucun risque de change à supporter, ce qui serait le cas s’ils achetaient des obligations libellées en euros). La CADES, pour éviter le risque de change, se couvre par un swap sur toute la durée de l’emprunt ; mais cette couverture coûte chère, et c’est autant d’argent perdu.

Le « cœur » de notre « modèle social que le monde entier nous envie », financé pour partie en dollars auprès de fonds de pensions américains, antimodèle honni de nos politiques, c’était la séquence humour du jour, merci la CADES.

Philippe Herlin

vendredi 13 janvier 2012

La France perd son AAA !

Vendredi 13 janvier 2011 : Standard & Poor’s dégrade la France, qui perd donc son triple A. Pas la peine d’être superstitieux (un vendredi 13 !), la faute en revient à 40 ans de mauvaise gestion des comptes publics : depuis 1974 aucun budget de l’Etat n’a été à l’équilibre. On doit plutôt s’estimer heureux de ne pas l’avoir perdu plus tôt, dès 2005 S&P avertissait la France qu’elle était « en train de glisser en bas de la catégorie AAA ».

Cette dégradation était largement anticipée, notamment depuis la « mise sous surveillance négative » de décembre dernier. Les marchés l’avaient déjà intégrée, le spread entre les taux allemands et français en témoignait.

Il n’y aura donc aucune conséquence ? Peut être pas à court terme, mais cela va détériorer les conditions de refinancement de la France :
- La France va perdre de facto une part significative de ses clients à travers le monde, tous ceux qui ont l’obligation statutaire d’investir dans des actifs libellés AAA (les fonds de pension notamment). Le taux auquel elle emprunte risque donc encore d’augmenter.
- Un grand nombre d’emprunteurs liés à l’Etat devraient également perdre leur AAA comme la CADES (qui gère la dette de la sécu), l’Unedic, la Caisse des Dépôts et Consignations (qui est en train de sauver Dexia…), RFF (Réseau Ferré de France), et peut être EDF. Les coûts de refinancement sur les marchés de ces entités vont donc augmenter.
- Les collectivités locales (dont l’Etat est le garant en dernier ressort) risquent aussi de perdre leur AAA (Paris, Ile-de-France).
- Les banques et assurances (françaises et étrangères) qui possèdent des emprunts français dans leurs comptes voient cet actif dévalué.
- Le fonds d’aide européen (FESF), garantit majoritairement par l’Allemagne et la France, risque certainement de perdre lui aussi son AAA.

Dans le contexte actuel de grande fragilité du secteur bancaire, cette nouvelle risque d’accélérer la crise financière en France et en Europe.

Le communiqué officiel de Standard & Poor's

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Philippe Herlin

mardi 10 janvier 2012

Taxe Tobin = taxe sur l’épargne

La taxe Tobin, suggérée en 1972 par le Nobel d'économie James Tobin, consiste à taxer les transactions financières internationales afin de décourager la spéculation. Déjà on suppose ici que la spéculation est mauvaise en soi, ce qui procède d’une incapacité complète à comprendre comment fonctionne un marché libre. La spéculation est au contraire tout à fait normale puisque cela consiste à se projeter dans l’avenir en espérant enregistrer un profit. Il n’y a pas de marché sans spéculation ! En finance ou ailleurs (Free « spécule » sur sa réussite en lançant un forfait mobile tout compris à 20 euros).

En outre, cette taxe a déjà été appliquée en Suède dans les années 80, et l’expérience s’est révélée un échec complet. Si la France l’applique seule, cela se traduira par de nouveaux chômeurs (on ne peut pas dénoncer les 35 heures et faire l’équivalent dans le domaine de la finance !). Déjà le gouvernement envisage ne pas l’appliquer sur les bons du Trésor, pour ne pas décourager les investisseurs, l’Etat taxera les actions mais pas ses propres produits financiers, cette duplicité est scandaleuse.

Ceci dit, il faut taper sur les marchés, les hedge funds et les vilains spéculateurs, ça peut rapporter quelques points en période électorale. Mais tout cela n’est qu’un prétexte. Cette taxe devrait rapporter plus de 50 milliards au niveau européen (si elle est mise en œuvre, mais beaucoup de pays y sont opposés, heureusement). Mais d’où croit-on que viendront ces 50 milliards ? Des bénéfices des banques ? Surtout pas, il faut les recapitaliser, n’est-ce pas. Cette taxe sera reportée sur l’utilisateur final, c'est-à-dire l’épargnant. Les hedge funds sont très peu implantés dans la zone euro (ils sont à Londres, Zurich, aux USA), ils ne seront pas concernés. En fait la très médiatique taxe Tobin sert à nous vendre l’impôt européen, voici la raison de tout cela !

Philippe Herlin

mercredi 4 janvier 2012

2012, l’année des faillites bancaires ?

La BCE a prêté 489 milliards d’euros (sur 3 ans à 1%) à 523 banques européennes (voir le billet précédent), parce que le marché interbancaire ne fonctionne plus (les banques n’ont plus confiance entre elles). Que font les banques de cet argent ? Elles le replacent à la BCE !!! 453 milliards exactement sont placés à la banque centrale, au jour le jour, à un taux inférieur à ces 1% l’an. Les banques perdent donc de l’argent sur cette opération. C’est Ubu-banque.

Que pourraient-elles faire d’autre ? Des crédits aux entreprises et aux particuliers ? Mais avec la récession, le taux d’impayés augmente, c’est trop risqué. Acheter des emprunts d’Etat qui rapportent de 3 à 7% (France, Italie, Espagne, mettons la Grèce de côté) ? Voilà une opération qui serait très rentable (emprunter à 1% et prêter à 3% ou plus), mais un pays peut faire défaut, aucun n’est à l’abri (ou il peut voir ses taux monter, ce qui diminue la valeur de ses anciens emprunts). Résultat les banques choisissent la sécurité, quitte à perdre de l’argent.

Tout cet argent ne rassure même pas les partenaires étrangers, la preuve : la BCE a accordé aujourd'hui 31 milliards de prêts en dollars à des banques de la zone euro qui ont du mal à s'en procurer sur les marchés. Si une banque américaine ne prête pas de dollars à une banque européenne, qui possède pourtant des milliards d’euros de liquidité provenant de la BCE, cela signifie qu’elle doute de sa solvabilité, elle pense qu’elle peut faire faillite avant de rembourser ce prêt. Résultat, la BCE s’y colle (elle se procure ces dollars auprès de la Fed).

Tout cela nous montre un système bancaire qui agonise lentement, qui connaît un grave problème de solvabilité, et pour lequel un déluge de liquidités (comme celui que vient de faire la BCE) ne fait que repousser les échéances. Les banques ne valent vraiment plus grand chose, la preuve : la plus grande banque italienne, Unicrédit, annonce une décote de 43% pour son augmentation de capital (son action cote 5,705 euros à la bourse de Milan, elle émet des actions à 1,943 euros pour lever des fonds). Les actions bancaires ont déjà perdu environ 90% de leur valeur depuis la crise de 2008, mais divisez encore leur cours par deux pour avoir une idée à peu près plus juste, et encore.

Bonne année 2012 malgré tout et, ce sera le conseil pour cette nouvelle année, intégrez le risque bancaire dans vos décisions patrimoniales (c'est-à-dire ouvrez plusieurs comptes pour répartir les risques, acheter de l’or physique, privilégiez les actifs réels aux actifs papiers i.e. gérés par les banques), parce que nous risquons fort de connaître, en France et en Europe, des faillites bancaires.

Philippe Herlin