vendredi 29 octobre 2010

Avertissement sur la dette américaine

Il faut toujours se méfier des discours catastrophistes, mais Bill Gross n’est pas le premier venu, c’est le dirigeant de PIMCO, le fonds américain qui détient le plus de bons du Trésor américain. Dans sa dernière note à l’attention des investisseurs, il explique carrément que la dette américaine a les caractéristiques d’une pyramide de Ponzi… Dénonçant le recours de la Fed à encore plus de création monétaire (rachat de bons de Trésor et de créances pourries des banques et de Freddie Mac et Fannie Mae), Bill Gross remet en cause sa capacité à faire redémarrer la croissance, et donc la capacité des Etats-Unis à rembourser leur dette publique. Le postulat, adopté par l’administration, considérant que tant que l'on peut trouver de nouveaux créanciers pour rembourser les emprunts précédents, la spirale de l'endettement peut se perpétuer indéfiniment, est erroné. L’éclatement de la bulle obligataire est, selon lui, imminent.

Le projet d'assouplissement quantitatif de la Fed déclenche une "Gross" colère chez PIMCO, Philippe Béchade, La Chronique Agora

Le "Quantitative Easing 2" de la Fed, Oddo

Run Turkey, Run, "Bill" William Gross, PIMCO
“Public debt, actually, has always had a Ponzi-like characteristic.”

Philippe Herlin
© La dette de la France .fr

mardi 26 octobre 2010

Une hypothèse sur la dette américaine

Une curiosité sur le marché de la dette souveraine : les Etats-Unis viennent de vendre des obligations à rendement négatif, c'est-à-dire qu’elles vont coûter de l’argent à ceux qui les souscrivent, à moins que le taux d’inflation augmente. Explication : les Etats empruntent à taux fixe, donc si l’inflation repart, les investisseurs perdent de l’argent. Sauf si ces Etats proposent des obligations indexées sur l’inflation, ce que font la France (avec les OATi) et depuis peu les Etats-Unis. Et ces titres sont très demandés, ce qui signifie que les investisseurs anticipent un retour de l’inflation. En l’occurrence, ils le craignent tellement qu’ils achètent ces bons du Trésor américain à perte, si l’inflation reste à son niveau actuel, mais avec un beau rendement si elle décolle (et un coût important pour le Trésor US !).

Jusque là on comprend. Mais si l’inflation doit repartir, le Trésor US et la Fed sont quand même un peu au courant, alors pourquoi se tirent-ils une balle dans le pied en proposant un produit qui leur coûtera, dans ce cas, une fortune à rembourser ? Emettons une hypothèse légèrement perverse : si les Etats-Unis ne peuvent plus faire face à leur dette, ils n’utiliseront pas l’arme de l’hyperinflation mais celle du défaut. En effet l’hyperinflation détruirait le dollar et l’économie américaine, alors que le défaut (ou un rééchelonnement massif), surtout s’il ne concerne que les détenteurs extérieurs, sauvegarderait la puissance économique et monétaire américaine. Bonne pioche. Bien sûr cela provoquerait au passage une crise financière internationale, de multiples ruines bancaires, mais quelles « représailles » pourraient être utilisées contre la première puissance commerciale et militaire du monde ?

Bon, l’autre scénario c’est que les Etats-Unis remboursent rubis sur l’ongle. C’est ce qu’ils font pour l’instant, en grande partie en « monétisant » (une partie des émissions du Trésor souscrites directement par la Fed), mais la masse monétaire augmente dangereusement, avec le risque de forte inflation qui y est attaché. Ces nouvelles émissions d’obligations indexées à l’inflation indiquent ainsi peut être une inflexion de la part de la Fed et du Trésor : nous ne voulons pas d’hyperinflation, donc nous n’allons plus abuser de la création monétaire, et nous réglerons le problème de la dette autrement…

Les Etats-Unis vendent des obligations à rendement négatif, L’Expansion

(texte repris sur Contrepoints, merci !)

Philippe Herlin
© La dette de la France .fr

lundi 25 octobre 2010

Comment appauvrir un pays ?

Des déficits publics récurrents et une dette qui enfle dangereusement ne représentent finalement qu’un aspect des politiques publiques néfastes mises en œuvre. Celles-ci se traduisent également par un appauvrissement économique, auquel viendra suppléer imparfaitement une politique sociale… financée par la dette. Dernier exemple d’appauvrissement du pays, décidé explicitement par le gouvernement : le relèvement des prix de l’électricité pour financer le photovoltaïque et l’éolien ! « Les prix ont des chances d'augmenter de 6 % à 7 % en six mois, du jamais-vu depuis des décennies. Et le mouvement ne fait sans doute que commencer… » (Les Echos). Il s'agit de couvrir les charges liées au développement massif des énergies renouvelables mises en œuvre par le bureaucratique « Grenelle de l’environnement » et ses mirages d’économie « verte ». Ni le solaire ni l'éolien ne sont compétitifs, l'Etat soutient leur essor en faisant acheter ce type d'électricité par EDF à un prix supérieur au marché. La différence est couverte par une taxe, la contribution au service public de l'électricité (CSPE), qui représente près de 5 % de la facture des particuliers. 5 % (et donc bientôt plus) de notre facture d’électricité sert à subventionner de l’éolien qui défigure nos paysages et des panneaux solaires achetés en Chine. C’est Ubu Roi. Grâce à son parc nucléaire, la France disposait d’un avantage comparatif par rapport à ses concurrents, elle est en train de le perdre, « la faiblesse relative des prix du courant constitue traditionnellement un des rares atouts compétitifs des entreprises françaises. S'il disparaît peu à peu, la désindustrialisation risque de s'accentuer. » Bravo !

Le gouvernement ouvre la voie à une nouvelle hausse des prix de l'électricité, Les Echos

Philippe Herlin
© La dette de la France .fr

mercredi 20 octobre 2010

Nassim Taleb, l’auteur du Cygne noir, de passage à Paris

Nassim Nicholas Taleb était de passage à Paris, le 13 octobre 2010, dans le cadre des « Grands rendez-vous de L’Expansion ». Le livre qui l’a rendu célèbre, Le Cygne noir (2,5 millions d’exemplaires vendus dans le monde), sort en poche, et celui qui se définit comme « philosophe des sciences du hasard » publie un autre ouvrage qui prolonge ses réflexions, Force et fragilité, toujours aux Belles lettres. Reprenons quelques unes des idées qu’il a développées au cours de cette conférence.

Fragile/robuste
Taleb est franchement pessimiste, la crise de 2008 ne constitue selon lui qu’un « prélude »… Notre économie devient en effet de plus en plus « fragile ». Comment comprendre cette notion ? L’optimisation, l’efficacité, l’efficience se payent par un accroissement de la fragilité, le Kindle d’Amazon permet d’emporter avec soi des centaines de livres, mais si on renverse son café dessus ou si on a oublié l’adaptateur pour le recharger, il devient inutilisable ; un livre est bien plus « robuste ». Donc se débarrasser de tous ses livres pour garder un Kindle constitue un choix très risqué, il vaut mieux privilégier la diversité, garder ses livres importants, tous en ayant éventuellement un Kindle. La nature gère très bien la diversité ou, terme important, la redondance, il faut s’en inspirer. Si on tue un éléphant, l’animal le plus gros, l’équilibre n’est pas bouleversé, par contre si une banque importante fait faillite (Lehman Brothers), le système financier est menacé. La redondance peut se traduire par des inefficacités au sens économique, mais elle apporte une vraie protection contre la ruine. Autre image : il y a plus de diversité écologique au mètre carré sur une île que sur un continent ; la mondialisation diminue la diversité (en favorisant la spécialisation des pays) et donc accroît le risque de crise, il faut donc chercher à maintenir une diversité économique (les pays ayant une agriculture monoproduit font une erreur), mais sans en passer par le protectionnisme, qui ne règle pas le problème sur le fond.

Le hasard moral
Un système plus redondant ne nécessite pas des réglementations supplémentaires (qui sont toujours contournées), ce n’est absolument pas incompatible avec les libertés économiques. C’est au contraire le « hasard moral », le fait que l’Etat vienne toujours à l’aide des grosses banques, qui favorise cet oubli de la ruine et la constitution de groupes financiers toujours plus vastes, et fragiles en cas de crise.

Le danger de la dette
L’augmentation de l’endettement ces dernières années s’est conjuguée à une montée de l’imprévisibilité. Le grand problème de la dette c’est qu’elle ne permet pas l’erreur. Si les prévisions (de l’entreprise ou du gouvernement) s’avèrent erronées, c’est la faillite. Alors que des actionnaires peuvent « absorber » le choc. Et les « Cygnes noirs » (événements ayant de grandes conséquences mais qui sont imprévisibles) sont nombreux ! L’éclatement de la bulle Internet en 2000 n’a pas provoqué de crise parce qu’il n’y avait pas de dette. Le théorème de Modigliani-Miller, qui valorise l’endettement, constitue à cet égard une erreur flagrante. Il faut réduire la dette à tout prix, et en passer par la conversion en actions (Debt to Equity), sinon…

La crise à venir
La salle demande à Taleb s’il prévoit plutôt de la déflation ou de l’hyperinflation, il propose une autre forme de krach : « l’hypervolatilité des prix », c'est-à-dire de la déflation mêlée à de l’hyperinflation, en l’occurrence une destruction de la valeur de ce que vous avez (l’immobilier) et une explosion des prix de ce que vous n’avez pas (nourriture, essence)… Une analyse intéressante puisque l’on observe déjà ce mouvement, mais à petite échelle, avec la baisse des prix de l’immobilier (pas vraiment en France mais c’est réel aux USA, RU, Espagne, etc) et un renchérissement des produits alimentaires. En France on met ça sur le dos de l’euro mais les causes en sont sans doute plus profondes, et inquiétantes.

Qu’est ce qui est fragile et robuste en économie ? Un tableau tiré d’une publication récente de Taleb

Philippe Herlin
© La dette de la France .fr

samedi 16 octobre 2010

R.I.P. Benoît Mandelbrot, 1924-2010

La nouvelle n’est pas directement liée à l’objet de ce blog, mais vous saviez sans doute que mon premier livre, Finance : le nouveau paradigme, comprendre la finance et l’économie avec Mandelbrot, Taleb… portrait principalement sur les travaux de Benoît Mandelbrot. L’inventeur des fractales étudiait en effet de près la théorie classique de la finance, celle qui est née à Chicago dans les années 60 et est enseignée dans tous les MBA du monde, et en avait montré les vices de forme. On ne l’a pas écouté. Nassim Nicholas Taleb est revenu à la charge avec son célèbre livre Le Cygne noir, avec plus de succès (2,5 millions d’exemplaires vendus dans le monde), mais sans que les mentalités changent encore. Les fractales ne s’appliquent bien sûr pas qu’à la finance, elles concernent tous les domaines de la science (un récent documentaire sur Arte en montrait plusieurs applications, on espère une rediffusion). J'avais rencontré Nassim Taleb lors d'une conférence à Paris le 13 octobre (cf article) et il m'avait confié que Benoît Mandelbrot était très malade. Nous venons d’apprendre aujourd’hui son décès. Il restera comme l’un des plus grands mathématiciens de l’histoire, et son œuvre reste plus vivante que jamais.

Philippe Herlin

Finance : le nouveau paradigme, comprendre la finance et l’économie avec Mandelbrot, Taleb…, Philippe Herlin

“He Gave Us Order Out of Chaos” — R.I.P. Benoît Mandelbrot, 1924-2010, Wired

Benoit Mandelbrot, Mathematician, Dies at 85, New York Times

Benoît Mandelbrot change de dimension, Le Monde diplomatique

Benoît Mandelbrot sur Wikipedia

Le groupe Finance & Mandelbrot sur Facebook

Le documentaire sur les fractales disponible sur Dailymotion

jeudi 14 octobre 2010

Sur LCI à 17h30 !

Pour information je passe ce jeudi après-midi sur LCI de 17h30 à 18h en débat sur la dette publique avec Charles Gave dans l'émission de Michel Field.

> voir la vidéo



Philippe Herlin

mardi 12 octobre 2010

Vers un rééchelonnement de la dette grecque

On va y venir, c’est même ce qui aurait du être fait dès le début : le rééchelonnement de la dette grecque. Le FMI vient de lancer l’idée, l’Allemagne a répondu qu’il en était hors de question, les discussions s’annoncent animées. En effet Berlin, mais aussi Paris, Londres ou Rome craignent de devoir renflouer leurs banques suite aux pertes qu’elles subiraient alors sur les emprunts grecs qu’elles détiennent dans leurs comptes (de l’ordre de la quarantaine de milliards pour les banques françaises, allemandes et anglaises, selon diverses estimations). Un rééchelonnement se traduisant évidemment par une diminution de la valeur de ces créances. Mais au fait, pourquoi les banques possèdent-elles autant d’emprunts grecs ? Parce que ça rapporte plus et c’est sans risque, enfin le pensaient-elles. La Grèce, on le sait, doit offrir un taux d’intérêt supérieur au taux des emprunts allemands (même avant la crise), ça lui coûte plus cher, et ça rapporte plus à ceux qui les souscrivent, les banques. Et c’est sans risque puisque la Grèce fait partie de l’Europe et de l’euro… Erreur, on l’a vu. Les banques auraient du se rappeler qu’un des principes de base de la finance est que la rémunération et le risque augmentent de concert ; elles auraient du provisionner une partie de ces emprunts. Un rééchelonnement mesuré leur fera perdre quelques milliards, ça leur fera les pieds, et un renflouement public pourrait ne pas être nécessaire, ce serait une sortie honorable du problème grec (scénario optimiste…).

Rééchelonner la dette grecque divise ses bailleurs de fonds, Les Echos

Philippe Herlin
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mardi 5 octobre 2010

L'inquiétante fragilité de la dette publique française

(reprise du texte publié sur ACDEFI)
Un nouveau seuil symbolique vient d'être franchi : plus de 70 % de la dette de l'Etat (70,6 exactement) est détenue par des « non-résidents », c'est-à-dire des investisseurs étrangers. Rappelons que la dette de l'Etat s'élève à 1249,6 milliards d'euros et qu'elle constitue la plus grande partie de la dette publique (1591,5 milliards au 30 juin selon l'Insee), qui réunit également celle de la sécurité sociale et des collectivités locales. Voici un produit français qui s'exporte très bien ! Un tel succès prouve la confiance des marchés internationaux envers la signature de la France, fort bien, mais il traduit aussi une fragilité inquiétante. En cas de perte de notre fameux « AAA », la meilleure note possible que nous accordent les agences de notation, le mouvement de défiance qui s'en suivrait rendrait vite problématique le financement de l'Etat, la crise de trésorerie menacerait. Autant le gouvernement peut tenter de rassurer les souscripteurs nationaux (les grandes banques et les sociétés d'assurance), autant une banque anglaise, un fonds de pension américain, un fonds souverain du Moyen-Orient ou d'Asie n'hésitera pas à rayer la France de sa liste (d'autant que nombre d'entre eux ont l'obligation statutaire de souscrire des actifs financiers notés AAA). Cet indicateur doit être surveillé, comme le niveau de la dette lui-même. Le Japon, par exemple, est certes bien plus endetté que la France, mais seulement 7 % de sa dette figure dans des portefeuilles internationaux, ce qui lui donne une sécurité de financement bien plus grande. L'épargne française ne suffit plus depuis longtemps à financer l'endettement public et cette tendance s'accentue inexorablement, la part des non-résidents n'était que de 25 % en 1996, elle franchit la barre des 50 % en 2005, pour atteindre donc 70 % aujourd'hui. Problème supplémentaire, l'Agence France Trésor, qui gère la dette de l'Etat, refuse de rendre public le détail par pays de ces 70 %, une cachotterie qui n'est pas faite pour rassurer. Cette fragilité constitue, s'il en était besoin, une raison supplémentaire de lutter contre l'accroissement de la dette publique.

70,6 % de la dette de l'Etat détenue par les non-résidents (cf 2e tableau) dans le bulletin de septembre de l'Agence France Trésor, qui vient de sortir

Chiffre de la dette publique au 30 juin selon l'INSEE

Philippe Herlin
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