mercredi 12 septembre 2012

Sur la politique de « stérilisation » de la BCE

Revenons sur un point soulevé dans le billet précédent, le fait que la BCE affirme « stériliser » la création monétaire qu’elle produit lorsqu’elle achète des bons d’Etat.

La BCE achète des bons d’Etats de pays en difficulté (de façon à faire baisser les taux, c’est à dire leur « prix »). Mais elle ne les achète pas aux Etats lorsqu’ils émettent ces bons, car c’est interdit par le Traité de Lisbonne (article 123). La BCE les achète sur le marché secondaire, c'est-à-dire aux banques. Bien sûr, il y a aussi des fonds de pension, des fonds souverains, des hedge funds qui achètent des bons d’Etat, mais la BCE intervient aussi pour aider les banques européennes, donc elle ne s’adresse qu’à elles. Pour acheter ces bons, la BCE crée de l’argent ex-nihilo (la planche à billets), ce qui à terme est inflationniste (si la quantité de monnaie dans l’économie augmente plus vite que les biens réels disponibles, à un moment se produit une valse des étiquettes).

Mais la BCE se veut rassurante, il n’y aurait pas de risque inflationniste car elle « stérilise » cet argent créé. Comment ? En incitant les banques à placer l’argent (qu’elles viennent de toucher de la BCE en lui vendant leurs bons) à la BCE ! Comment ? En rémunérant ces placements. Ainsi, l’argent créé par la BCE retourne immédiatement dans ses caisses, il ne circule pas dans l’économie, ce qui éloigne tout risque de hausse des prix.

Ca c’est sur le papier. Des banques préfèrent investir cet argent sur les marchés des matières premières ou les bourses, qui rapportent plus que ce que propose la BCE. Ceci explique la bonne tenue (artificielle donc) de ces marchés, alors que la récession touche toutes les régions du monde. Et puis la BCE a réduit son taux d’intérêt pour ces placements car elle se plaint que les banques ne soutiennent pas suffisamment le crédit, donc la croissance. Cet argent reste donc de moins en moins à la BCE.... L’argent n’est donc pas « stérilisé », il est déposé temporairement et pour partie à la BCE, et le reste provoque des bulles sur les matières premières ou les marchés actions. Une crise (concernant notamment la solvabilité du système bancaire) pourrait même obliger les banques à rapatrier brutalement cet argent pour faire face à leurs engagements, provoquant ainsi une rapide remise dans le circuit économique d’une masse considérable de monnaie…

Dernière élément : mais au fait, avec quel argent les banques (grecques, portugaises, espagnoles, italiennes) achètent-elles des bons d’Etat de leurs pays ? Avec de l’argent prêté par la BCE ! Dans le cadre des LTRO (deux fois 500 milliards prêtés à trois ans à 1% aux banques européennes), ou d’autres programmes. Normalement cet argent sera remboursé dans trois ans, et donc détruit, mais il a été créé et il circule. Ce qui provoque une relative bonne tenue (artificielle encore une fois) du marché de la dette souveraine européenne. Une remarque : les banques obtiennent ces liquidités auprès de la BCE pour acheter de nouveaux bons d’Etats en déposant en garantie (le « collatéral »)… d’anciens bons d’Etats acquis précédemment, ça tourne en rond. Ca tourne en rond, l’objectif étant de jouer sur les taux (ce que rapporte les bons d’Etats moins ce que coûte l’argent prêté par la BCE) pour gagner sa vie…

On voit donc ici que la « stérilisation » dont parle la BCE n’est qu’un jeu de bonneteau, ou une variante de la pyramide de Ponzi, et que le risque inflationniste s’avère bien réel.

Autrement, retrouvez mon dernier article pour Atlantico, qui reprend et développe un billet précédent : Et s'il fallait permettre à chaque citoyen de décider le montant de ses impôts ? Retour sur la solution explosive de Peter Sloterdjick

Philippe Herlin