lundi 2 février 2009

Le rapport Pébereau de 2005 sur la dette

Cette note a été réalisée en décembre 2005, au moment de la publication du rapport.

Télécharger le rapport :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/catalogue/9782110061027/index.shtml


Une synthèse du rapport :

La dette de l’Etat en quelques chiffres :
- La dette s’élève à 1067 milliards d’euros fin 2004 (c’est la dette des administrations publiques + la dette la sécurité sociale + la dette de l’assurance chômage, mais on ne prend pas en compte celles collectivités territoriales).
- La dette représente 64,7 % du PIB en 2004, c'est-à-dire qu’elle représente les deux tiers de la richesse créée en une année (même si, dans ce calcul, on compare un stock à un flux).
- La dette représente 41.000 euros par ménage (soit le double de sa dette privée, en moyenne).
- Le service de la dette (c'est-à-dire le paiement des intérêts + remboursement des prêts arrivant à échéance) a coûté 40 milliards d’euros dans le budget 2004 (c’est le 2e poste, derrière l’Education nationale, devant la Défense). Si l’on se place du point de vue des recettes, la charge de la dette représente la presque totalité de l’impôt sur le revenu.

Cette dette comprend aussi celle de la sécurité sociale, qui était nulle en 1990 et approchera 100 milliards en 2006, et celle de l’assurance chômage, qui était nulle en 2000 et qui s’élève à 14 milliards en 2004. Une partie de nos dépenses de santé et d’assurance chômage seront à la charge de nos enfants !

Il faut également tenir compte de l’engagement de l’Etat envers les retraites des fonctionnaires : de 790 à 1000 milliards (page 21). Il ne s’agit pas d’une dette stricto sensu (il n’y a pas de bons du trésor émis sur cette dépense) mais d’un engagement que l’Etat a envers ses agents et qu’il doit (comme toute entreprise) évaluer et provisionner. La dette au sens large s’élève donc à 2000 milliards d’euros.

Le rapport est très clair sur les causes de cette dérive : « C’est une gestion peu rigoureuse des dépenses publiques qui explique, pour l’essentiel, l’augmentation continue de la dette publique depuis 25 ans. » (page 62). La dette n’a pas servi à l’investissement public mais aux dépenses de fonctionnement (page 40).
- La dette vient du déficit constant du budget de l’Etat. Depuis 1980, les dépenses excèdent les recettes de 18 % ! Imagine-t-on un ménage ou une entreprise qui dépense durablement 18 % de plus qu’il ne gagne ? (page 28)
- Le recours à la dépense publique est la réponse systématique des dirigeants politiques aux problèmes de société (page 78).

D’autre part, la mise en place de l’euro facilite l’endettement en offrant une liquidité mécaniquement supérieure aux anciennes monnaies nationales. Ainsi, fin 2003, l’encours de la dette en euros (des pays ayant l’euro comme monnaie) s’élevait à 7.205 milliards (page 35). Avec le Franc, le poids de la dette aurait inquiété les opérateurs internationaux et notre monnaie aurait perdu de la valeur par rapport à celles des pays ayant un comportement plus vertueux, ce qui nous aurait obligé à réagir. Avec l’euro, notre situation budgétaire est noyée dans la masse ; c’est pour cela que les initiateurs de l’euro ont mis en place les « critères de Maastricht », mais les principaux pays (France, Allemagne, Italie) ne les respectent pas !

Et il faut savoir que les taux d’intérêts sont historiquement bas ! La poursuite de l’endettement fragilise la France et la rend de plus en plus sensible à un relèvement des taux d’intérêt. Le rapport fait une simulation (page 104) : une hausse de 1,5 % des taux d’intérêt à partir de 2008 conduirait à une charge de la dette de 85 milliards d’euros en 2012 contre 40 milliards en 2004, on entrerait dans un cercle vicieux, la situation serait extrêmement critique ! (La dette française est à taux variable)

Nos marges de manœuvre sont très réduites : la France cumule un niveau de prélèvements obligatoires et une dette parmi les plus élevés au monde ! Le comportement de la France (niveau d’imposition élevé qui interdit une hausse des impôts et incapacité à maîtriser la dépense publique) risque de rompre la confiance des prêteurs (page 102). Le scénario de la poursuite de l’endettement sur les tendances actuelles est inconcevable.

Dans le passé (fin XIXe, 1918, 1945), le ratio de la dette rapportée au PIB a été plus élevé qu’aujourd’hui, mais à l’époque on réglait le problème avec une forte inflation (et la ruine des épargnants !). Désormais on ne maîtrise plus notre politique monétaire (qui se décide à la Banque Centrale Européenne), donc cette comparaison n’a pas lieu d’être (page 23).

Le rapport avance plusieurs préconisations (pages 107 et suiv.) que l’on peut regrouper comme suit :
- Stabilisation des dépenses de l’Etat en euros courants, non diminution du taux de prélèvements obligatoires, affectation des recettes exceptionnelles (privatisations) au désendettement.
- Examen de l’efficacité de l’ensemble des dépenses publiques.
- Utiliser à plein les départs à la retraite pour diminuer les sureffectifs de la fonction publique (et aussi faciliter la mobilité et lier la rémunération à l’obtention de résultats).

La conclusion du rapport fait des remarques de bon sens (page 128) :
- « Chaque fois qu’un problème nouveau s’est présenté à lui depuis 25 ans, notre pays y a répondu par une dépense supplémentaire, sans remettre en cause la routine des dépenses engagées précédemment sur d’autres sujets, en reportant sans cesse les adaptations de ses systèmes de solidarité rendues nécessaires par la démographie. Des exceptions existent, mais elles sont rares. »
- « La « culture de la dépense » s’est ainsi substituée à la recherche d’une efficacité en profondeur et à la fixation d’objectifs en termes d’utilité pour les citoyens et pour l’économie. Ce faisant, la France a peu à peu accumulé les déficits publics, sans parvenir à résoudre les problèmes du chômage et de la pauvreté. Elle s’est endettée dans des conditions qui restreignent ses marges de manoeuvre pour la régulation conjoncturelle et qui hypothèquent son avenir à moyen terme. Poursuivre sur cette tendance conduirait à une paralysie durable de l’action publique et mettrait à rude épreuve nos ambitions de croissance et de solidarité dans les années qui viennent. »


Quelques commentaires :

Le choix d’évaluer la situation de la dette française à partir de 1980, comme le fait le rapport, est une erreur : c’est depuis 1974 que la dette augmente. Avant elle était quasiment nulle (elle était nulle en 1968, il y a eu un peu d’endettement sous Pompidou). Depuis que le premier choc pétrolier a provoqué un net ralentissement de la croissance, on a préféré reporter les réformes à demain et vivre à crédit (la dette c’est le Prozac de l’Etat). Les budgets de l’Etat sont en déficit depuis 1975, Jacques Chirac étant alors Premier ministre…

Le rapport le dit mais il faut bien insister sur ce point : la machine infernale s'est emballée depuis 1990. En quinze ans, l'endettement s'est alourdi de plus de 30 points de PIB, trois fois plus que dans l'ensemble des pays développés ! Tous les pays occidentaux ont su remettre en cause l’Etat providence et faire baisser les dépenses tout en gardant une protection sociale efficace. La France est à contre courant, sa dette et son taux de prélèvements obligatoires augmentent quand ils diminuent partout ailleurs ! Cet état de fait crée des distorsions économiques, nous subissons la concurrence fiscale de nos partenaires et cela aggrave les maux dont souffre notre économie (délocalisations, stagnation du pouvoir d’achat, chômage massif, faiblesse de l’investissement et de la R&D).

Le rapport pointe le risque de ne plus pouvoir faire face à la dette, d’autres avis vont dans ce sens : « Si, au cours de la législature prochaine, les gouvernements ne redressent pas drastiquement les finances publiques, ils courront le risque d'avoir à gérer dès 2010 une crise financière majeure comparable, dans ses effets, à la déroute de l'Argentine en 2001 », avertit Alain Lambert, ancien secrétaire d'Etat au Budget de Jean-Pierre Raffarin (dans L’Expansion du 22/11/2005).

La dette « phagocyte » toute la - faible - croissance économique : « C'est simple, déplore l'économiste Jacques Marseille, auteur du Grand Gaspillage (Tempus) : de 2002 à 2004, la dette publique a augmenté de 165 milliards d'euros et la richesse nationale de 101 milliards. Tout se passe comme si la totalité de la richesse supplémentaire créée dans l'Hexagone était confisquée par les administrations publiques. » (dans L’Expansion du 22/11/2005).

Il y a une question toute simple, cruciale, que le rapport ne se pose pas : qui détient la dette ?
- On constate que l’épargne nationale ne suffit plus à financer la dette de l’Etat, les « non-résidents » (investisseurs étrangers) sont passés de 12 % en 1998 à 50 % en 2005 ! La France perd sa souveraineté financière et devient de plus en plus dépendante de l’étranger.
- Le deuxième détenteur de la dette est les assurances, c'est-à-dire l’assurance-vie, le placement préféré des Français ! Préféré parce que fiscalement intéressant, l’Etat est donc juge et partie, il crée un régime fiscal favorable pour capter l’épargne des Français afin de financer son déficit.
- Source : http://www.aft.gouv.fr/article_960.html?id_article=960&id_rubrique=163
(Agence française du Trésor)

Se poser la question de savoir qui détient la dette c’est rendre très concret un problème qui jusqu’ici navigue dans les brumes des « milliards d’euros » et des « % du PIB » et qui ne sont pas très parlants au sens commun, c’est pointer la gravité du problème pour chacun des Français. Car on peut alors élaborer un scénario de crise : que se passe-t-il si l’Etat ne peut plus financer sa dette ? Si l’Etat ne peut plus faire face à sa dette : la signature de la France au niveau international ne vaut plus rien et il devient impossible d’emprunter sur le marché financier mondial. D’autre part l’assurance-vie part en fumée et une grande part de l’épargne des Français disparaît. Les banques, qui possèdent des bons d’Etat, voient leur bilan se dégrader subitement et dangereusement, elles doivent réduire drastiquement leur offre de crédit. L’Etat n’ayant plus d’argent, les salaires des fonctionnaires ne sont plus assurés. On est dans un scénario de crise « à l’Argentine » avec une crise financière qui touche de plein fouet la classe moyenne et se transmet instantanément à l’économie « réelle » provoquant une chute de la consommation et de l’investissement, des faillites en série, l’explosion du chômage…

Un élément déclencheur, ou très aggravant, pourrait être une baisse de la notation de la dette française (actuellement « triple A », la meilleure possible) par les agences de notation (Moody’s et Standard & Poor’s). Le renchérissement du coût de la dette serait brutal et rapide, la confiance des « non-résidents » (qui détiennent la moitié de notre dette) serait ébranlée… L’Allemagne et l’Italie étant également très endettées, il y a un risque systémique sur la zone euro…

Philippe Herlin
© La dette de la France .fr